Santé | vie spirituelle et parcours musical




Par Robert Lebel (sur la photo) – 1er avril 2024

Dans cet article, Robert Lebel, prêtre, auteur et compositeur reconnu pour sa contribution significative à la musique religieuse contemporaine, partage son parcours unique où la musique, la foi et la santé se rejoignent. À la suite d’un accident cardiaque et d’une période de convalescence, Lebel offre un témoignage sincère de gratitude envers ses proches et le personnel médical. À travers son récit, Lebel illustre la spiritualité incarnée et l’impact des épreuves sur son inspiration artistique. Ce récit intime révèle l’importance de la spiritualité et de la créativité dans son parcours personnel.

 
La proposition d’écrire cet article m’est arrivée alors que j’étais en pleine convalescence. Devant mon état de santé, j’ai d’abord hésité à accepter cette demande, mais après réflexion, j’y ai vu une belle invitation à me remettre à l’écriture, à me « ramasser », à bien ressaisir le sens de ma vie, vie spirituelle, vie sacerdotale, vie d’auteur-compositeur.
 

Entouré de bienveillance

Mon accident cardiaque de l’an dernier et l’opération de pontages qui s’en suivit auront nécessité plusieurs semaines d’hospitalisation. D’emblée, je profite de l’occasion pour exprimer ma plus profonde gratitude envers ma famille et mes proches, ainsi qu’à l’égard de tout le personnel des soins de santé, à quelque niveau que ce soit. Parmi ces gens, la plupart ne savaient rien de moi, j’étais pour eux un inconnu ; tandis que d’autres m’ont reconnu comme « le prêtre qui chante ». Mais sans distinction, je me suis toujours senti généreusement entouré de bienveillance, de respect, de bonté, de souci professionnel, d’amitié et même d’humour ! Le corps soigné avec cœur… Oh et puis des confidences et des questions aussi parfois.
 
Tout au long de ces mois d’épreuve, j’ai également reçu d’un peu partout des messages de pensées positives et l’assurance de prières ferventes, des mots d’encouragements, des lettres et des cartes remplies de témoignages très touchants sur les fruits et les effets bienfaisants de mes chants dans la vie de plusieurs. Alors oui, j’ai donc été une année complète en arrêt de travail ayant comme préoccupation principale le souci de ma santé, de « prendre soin de moi » comme tant de gens me l’ont si souvent rappelé et souhaité.
 

Comment chanterions-nous un chant au Seigneur ?

Quelques personnes m’ont demandé : « Pendant ce temps d’arrêt, vous avez sûrement reçu de belles inspirations ? Vous avez dû en profiter pour écrire de nouvelles choses, des textes, des musiques, et faire de bonnes lectures ? » Eh bien non, de leur répondre, pas vraiment. J’avais du temps, certes, mais pas d’énergie et de concentration, pas plus que je n’avais le cœur à lire ou écrire. Peut-être ai-je fait un bout sur le neutre…
 
En leur répondant, je songeais intérieurement à ces mots du psaume 136, la prière de l’exilé1, car je me trouvais loin de mon état normal et de mon vécu, de ma terre habituelle, de ma maison, loin de moi-même aussi par moments :

Aux saules des alentours, nous avions pendu nos harpes. 
Comment chanterions-nous un chant au Seigneur sur une terre étrangère ? 

 
Un peu comme les chantres du peuple en exil, j’avais déposé ma guitare, fermé mon piano, laissé ma voix s’éteindre. Malade, combien de fois ai-je pensé à la petite Thérèse de Lisieux et aux sentiments qu’elle exprimait dans ses jours d’épreuve :

Lorsque je chante le bonheur du Ciel, la possession de Dieu, je n’en ressens aucune joie, car je chante simplement ce que je veux croire…2

 

Je veux jouer pour mon Dieu tant que je dure

C’est petit à petit seulement que j’ai retrouvé, et tout récemment de fait, le goût de lire, d’écrire et de chanter. Je crois important de vous partager, en toute simplicité, que ma vie spirituelle n’a, par ailleurs, connu aucune pause. Elle est demeurée la toile de fond de mon quotidien, un quotidien dont la clé fut la prière, celle du matin avec la lumière d’une Parole pour ma journée et celle du soir où je me présente souvent pauvre et distrait, mais déterminé à me tenir en sa présence et aussi en solidarité avec ceux et celles qui souffrent et qui comptent sur ma prière.

Comme l’écrit Yves Duteil :

Pour peu qu’on laisse monter en nous la petite musique du silence, elle devient l’écrin de l’inspiration, de la réflexion et de la sagesse. Elle est la voix de la passion et de la raison, du bon sens et de la lumière. 3

 
« La petite musique du silence » qui a accompagné ma longue patience spirituelle a fait poindre en moi une espérance nouvelle et j’ai fait miennes les paroles du psalmiste :

Je veux chanter au Seigneur tant que je vis, je veux jouer pour mon Dieu tant que je dure, que mon poème lui soit agréable. 4

 

Éveillez-vous, harpes, cithares

Si, cette fois-ci, c’est mon cœur qui a fait défaut, il y a une douzaine d’années, ce sont mes poumons qui m’ont fait faux bond et m’ont conduit au seuil de la porte de St-Pierre ! J’avais été, aussi à cette époque, plusieurs mois à l’écart dans une vie vouée à un silence non choisi et assez dur pour réouvrir les plaies des maladies de l’âme et de l’esprit. Dans les deux cas, j’ai expérimenté avec profondeur ces mots d’Henri Nouwen : « Voilà ce qu’est la vie spirituelle : l’occasion de dire “oui” à notre vérité intérieure ». 5 C’est de cette vérité intérieure que peut rebondir l’âme et s’élever un chant nouveau.
 
Depuis peu, je me suis remis à mon piano, j’ai repris ma guitare pour la première fois en un an, j’ai pu chanter de nouveau. Qu’il m’est bon en ce moment de prendre à mon compte l’affirmation du psaume 56 :

Mon cœur est prêt mon Dieu, mon cœur est prêt, je veux chanter, jouer mes hymnes. Éveille-toi mon âme. Éveillez-vous harpes, cithares, que j’éveille l’aurore. Je te rendrai grâces parmi les peuples et je jouerai mes hymnes en tous pays. 6

 

Une spiritualité de l’Incarnation

Permettez-moi de citer cette belle pensée de Dom Guillaume Jedrzejczak dans son livre : Traverser le Chant du Monde : « Il serait donc vain de prétendre chercher Dieu sans mettre notre existence concrète en harmonie avec notre recherche spirituelle. La spiritualité chrétienne est une spiritualité de l’Incarnation. » 7
 
C’est dans ce réalisme d’une foi incarnée qu’ont pris chair ma vie spirituelle et mes chants à la fois proches de la vie et de la Parole de Dieu. Et puisque nous parlons du lien musique et vie spirituelle, j’ose citer en toute humilité ces mots de mon confrère Jacky Stinckens qui décrit mieux que moi-même ce que je n’ai cessé d’être par mes chants : «Robert Lebel traduit poétiquement, mais en même temps existentiellement, le passage d’une spiritualité “sacrale” à une spiritualité séculière en faisant découvrir aux chercheurs de Dieu la présence de Dieu, au milieu du jour et du quotidien. » 8
 

Terreau familial de musique, d’amour et de foi

Dès mon cœur d’enfant, ma vie spirituelle se façonnait déjà de musiques et de chansons : du grégorien aux cantiques, des hymnes aux airs de feu de camp et ceux de la Bonne Chanson qu’entonnaient mes parents. Ma vie spirituelle a grandi dans ce terreau d’amour et de foi que fut mon jardin familial. Tous ces éléments ont engendré en moi, presque à mon insu, le désir de faire de ma vie cet amalgame de spiritualité et de musique.
 
Oh… je n’ai rien des grands compositeurs, je sais bien et c’est honnête de l’écrire, mais je dois bien admettre que tous ces indices m’ont révélé un  talent pour la musique et, avec le temps, le  don insoupçonné qu’il me permettrait et d’être pour mes contemporains. Comme le dit Jacky Stinckens : « L’artiste n’est vraiment artiste que dans la mesure où il “traduit” ce qui l’habite. » 9
 
Enfant, j’avais pris plaisir à découvrir en parallèle le rock-and-roll et les chansons des Pères Duval, Bernard, Cocognac. Adolescent, au collège, j’ai découvert les grands chansonniers, Leclerc, Vigneault, Léveillée, Brel, Brassens et, petit à petit, les compositeurs classiques dont nous pouvions nous délecter les samedis et les dimanches, en particulier Bach, Handel, Mozart, Haydn et Beethoven. J’écoutais ces musiques sans connaitre leurs auteurs encore moins leur vécu, mais elles me conduisaient par des chemins qu’ils avaient sûrement empruntés eux-mêmes…
 
Chemins calmes et tranquilles, ou mélancoliques comme les dimanches sans parloir. Chemins enlevants, enthousiasmants, chemins obscurs où l’on marche avec anxiété. Mais aussi chemins lumineux qui mènent jusqu’au fond de l’âme avec une solennelle dignité, un bonheur simple, un émerveillement contemplatif.
 
Jeune adulte j’ai découvert des auteurs-compositeurs religieux fabuleux dont la rencontre m’ouvrait définitivement des chemins de créativité biblique : Deiss, Rimaud, Mannick, Akepsimas, Scouarnec, Dumont et d’autres.
 

J’écris si quelque chose me coule du cœur jusqu’aux mains

Il m’est arrivé tant de fois d’écrire des chants tout à fait spontanément comme s’ils étaient sans effort sortis de moi vers l’extérieur. Mais il m’est arrivé aussi dans des moments plus lourds d’éprouver de la lenteur dans la création, d’avoir à pelleter l’épaisseur de boue qui empêche la source de jaillir. Quand les mots ne viennent pas, les mélodies non plus…
 
J’ai souvent été interpellé à écrire des chants à partir de diverses thématiques liturgiques ou inspirées d’auteurs spirituels, d’écrits fondateurs, de mouvements. Les chants jaillissent de source vive et passionnée si tôt qu’ils ont trouvé écho dans ma propre vie spirituelle. Une vraie joie m’envahit au bout de ma recherche quand elle  délivre ces textes et ces mélodies. Certains jours hélas, comme je le disais un peu plus haut, je n’y arrive pas. Peut-être est-ce la fatigue, un sentiment de redondance, les limites des cadres proposés, ou encore le souci d’une mélodie à la fois élaborée, à la fois accessible à une assemblée ? Je ne sais trop. La meilleure façon dont je peux décrire ce vécu c’est à travers les mots de Christian Bobin : « J’écris seulement si quelque chose me coule du cœur jusqu’aux mains. » 10 Pour lui, «  La vie spirituelle n’est rien d’autre que la vie matérielle accomplie avec soin, calme et plénitude : quand le boulanger fait parfaitement son travail de boulanger, Dieu est dans la boulangerie ». 11
 

Avec la conscience de mes déchirures

Lorsque j’essaie de boulanger mes chants, je sens Dieu bien présent dans ma boulangerie musicale. Parfois cependant, je le sens moins ou pas ; je vois ma vie spirituelle asséchée comme le lit d’un torrent de désert. Je m’encourage en me disant qu’elle n’est pas moins ma vie spirituelle d’où peut émerger une nouvelle musique insoupçonnée !
 
Quand je me remémore les heures difficiles de mon passé je réalise combien celles-ci ont engendré certains de mes plus beaux chants. Les personnes familières de mon répertoire vous diront qu’elles ont su lire entre les lignes à la fois ma détresse et mon espérance. Neuwan décrit une réalité que je n’ose pas vraiment attribuer à ces chants, mais qui leur donne sens. « Les compositions musicales les plus célèbres, les peintures et les sculptures les plus remarquables et les livres les plus lus sont souvent des expressions directes de la conscience que les humains ont de leur déchirure ». 12
 

Ce qu’il y a de plus santé et de plus sacré

Musiques joyeuses et enlevantes, sombres et troublantes, douces et paisibles, chaque mélodie portant des textes eux aussi colorés de tous ces sentiments et émotions en continuelle métamorphose. Voilà comment, dans mon propre parcours d’auteur-compositeur j’ai célébré cet alliage des mots et des musiques avec les états psychiques et religieux de mon être. Dans mon quotidien en dents de scie, j’ai pourtant saisi le fil conducteur qui lui donne tout son sens : ma vie spirituelle.
 
Quand Christian Bobin écrit à propos des musiques et des chansons qui l’ont marqué : « la couleur de cette musique m’a teinté le sang », 13 cela signifie pour moi que tout l’être est imprégné de cette vie qui circule en lui, du sang au cœur, du cœur à l’âme et à l’esprit. Voilà comment je ressens personnellement l’expérience de la musique dans ma vie spirituelle, celle qui a donné couleur, direction, sens et saveur d’Évangile, tout ce qu’il y a de plus « santé » et « sacré » en moi.
 

Notes

1-4-6 AEFL Version biblique Psaumes : 1361, 1034, 466

10-11-13 BOBIN, Christian - La lumière du monde - Gallimard 200110 p. 14511 p. 158, p.5313

2 BRAU, Bernard, Les Portiers de l’Aube, Les Éditions du Cerf 1984 p. 78

3 DUTEIL, Yves - La petite musique du silence - Médiaspaul 2014 p. 31

7 JEDRZEJCZAK, Guillaume - Traverser le chant du monde Les Évangiles et la vie Anne Sigier 2009, p. 278

5-12 NOUWEN, Henri – Lettre à un ami sur la vie spirituelle – Novalis- Cerf 19975 p.113, p. 7212

8-9 STINCKENS, Jacky – Le sacré de la vie – Anne Sigier – 2000, p.878, p. 1579
 



Robert Lebel est né à Richmond, en Estrie, en 1949. Il a obtenu son baccalauréat en théologie à l’Université Laval et a complété ses études par une maîtrise en théologie pratique, se spécialisant en counseling. Ordonné prêtre en 1976, il a exercé son ministère dans divers contextes se distinguant particulièrement dans le domaine de la musique en tant qu’auteur-compositeur-interprète de chants religieux. Après avoir enregistré ses premiers albums à Paris, il a poursuivi ses productions au Québec en tant qu’éditeur. Il compte à son actif plus de trente albums de chants liturgiques et de chansons pédagogiques. Prêtre de l’Institut Voluntas Dei, il est devenu en 1998 cofondateur du centre de vie spirituelle Versant-la-Noël, à Pontbriand-Thetford Mines, où il exerce toujours son ministère.


13 avril 2024

Ce récit intime de vie pas toujours facile mais aussi de grand bonheur. Émouvant la profondeur de ta foi, d'amour et de ton courage, à travers tant de chambardements. C'est difficile pour moi de te dire ce que ressent en te lisant, ton écriture est engageante et impressionnante, un bienfait spécial je me dis "si toute la terre était meublée de poète"
Toute mon admiration cher Robert
Gisèle

Par Gisèle
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